Malika Sorel : Longtemps anesthésiés par le discours de la repentance, les Français du peuple sont en train de se réveiller

Riposte Laïque : Vous avez écrit, en 2007, « Le puzzle de l’intégration ». Pouvez-vous expliquer à nos lecteurs qui vous êtes, et ce qui vous a conduit à écrire ce livre ?
Malika Sorel :
Je suis née en France. J’ai vécu une quinzaine d’années en Algérie, et à 30 ans j’ai souhaité rejoindre juridiquement la communauté française dont je faisais déjà affectivement et moralement partie.
Après avoir attendu, en vain, une parole qui traiterait du sujet de l’intégration en tenant compte de l’ensemble de ses paramètres, je me suis résolue à publier Le puzzle de l’intégration. Je le vis comme un acte citoyen. Les émeutes de banlieues de novembre 2005 ont constitué un évènement déclencheur, même si je savais depuis longtemps que cela finirait par exploser. Mais à ce moment, je n’ai plus supporté d’entendre sans broncher les inepties de la pensée unique déversées à longueur de journée dans les médias. Donner à mes concitoyens les clés de décryptage de ce problème, à savoir les pièces du puzzle de l’intégration, c’était pour moi une manière d’agir pour les aider à sortir peu à peu du lavage de cerveau auquel ils sont soumis depuis plus de trente ans. La hauteur des enjeux commande une prise de conscience qui soit la plus large possible.
Riposte Laïque : Vous dénoncez sans concession les discours de la repentance et de l’excuse. Vous parlez de « haine de la France », de plus en plus développée chez certains enfants issus de l’immigration. Comment expliquez-vous le côté tabou d’une question aussi grave ?
Malika Sorel :
Nous sommes face à une multitude de situations et d’acteurs. Le tabou n’est pas le fait de tous. Il est le fait d’une partie des intellectuels, des politiques, des associations, ainsi que du monde économique qui trouve son compte dans les flux migratoires pour des raisons évidentes. Beaucoup des Français du peuple, si je puis m’exprimer ainsi, ne pratiquent plus le tabou et encore moins le déni de réalité, car ils sont peu à peu en train de se réveiller de la longue anesthésie dans laquelle l’idéologie de la repentance les avait plongés.
Bien sûr, dans la mesure où ceux qui osent s’exprimer à voix haute courent le risque d’être estampillés « racistes » ou « Frontistes » par la police de la pensée unique, ils parlent, mais à voix basse. Certains politiques ont en effet utilisé les outrances du Front National comme un épouvantail commode pour couper court à tout débat. Si cette idéologie de la repentance est servie aux Français depuis tant d’années, c’est qu’elle simplifie la vie de beaucoup de monde. Elle permet aux politiques d’avoir une réponse simple à opposer à un problème délicat et complexe, et elle permet à ceux qui vivent dans des huis clos dorés et cultivent l’entre-soi de se racheter une bonne conscience à peu de frais pour eux-mêmes, bien qu’à grands frais pour la France.
Notre classe politique est très occupée. À tout problème, il lui faut donc des explications faciles, et surtout des solutions prêtes à poser. Exemple : Français coupables ? => nécessité de la repentance de la France => discrimination positive. On va donc nommer de ci, de là, quelques personnes issues de ce que l’on a dénommé la « diversité », et le problème sera ainsi résolu (le pire, c’est qu’ils croient à cette fable). Autres exemples : échec de l’intégration = problème d’habitat ? => on déverse de l’argent dans la politique de la ville pour refaire les immeubles et on peut passer à autre chose. Échec à l’école ? => adaptation des programmes et des concours. Je pourrais multiplier de tels exemples.
Fait nouveau, une partie de notre classe politique, mais aussi de plus en plus d’intellectuels, commencent à réaliser que ces solutions n’en sont finalement pas et ne sont en réalité que des miroirs aux alouettes. Mais le reconnaître à voix haute équivaudrait à admettre avoir soi-même cautionné, ou même impulsé, des politiques qui se révèlent extrêmement nocives pour notre cohésion nationale, en un mot avoir participé à conduire la France sur une voie des plus dangereuses.
Un facteur très important a fait son apparition ces dernières années, c’est la peur. Par peur, l’État a de plus en plus souvent abdiqué sur le respect des règles du bien-vivre ensemble propres à la société française. Cette attitude crée puis conforte un sentiment d’impunité. Quelle société construisons-nous lorsqu’est offert le spectacle de la suprématie du plus violent, ou de celui qui exerce la plus forte pression ? Involontairement, la violence est peu à peu érigée en moyen légitime d’expression et d’action politique.
Riposte Laïque : Comment la républicaine que vous êtes réagit-elle au débat sur l’identité nationale, et aux derniers propos du président de la République, sur cette question ?
Malika Sorel :
Dans Le puzzle de l’intégration, j’appelais déjà ce débat de mes vœux. Je disais même que pesait sur notre société l’épée de Damoclès du temps. Je ne peux donc que me réjouir de la tenue de ce débat. Les Français ont besoin d’évoquer ce qu’« être Français » signifie pour eux, et aussi quel est le contenu de leur projet de société. C’est ce contenu qui les inquiète de plus en plus.

Ce qui est très intéressant à observer, et dans le même temps affligeant, c’est le spectacle que donnent ceux qui se liguent pour faire en sorte que le débat cesse et que le peuple se taise : curieuse pratique de la démocratie, si tant est que l’on puisse considérer qu’œuvrer à bâillonner le peuple soit un acte qui procède de la démocratie.
En ce qui concerne le Président de la République, je dois avouer que je suis très perplexe. Il existe en effet à mes yeux deux Nicolas Sarkozy, celui qui prononce des discours respectueux de l’identité française, et celui qui met en œuvre des politiques qui viennent heurter violemment des marqueurs essentiels de cette identité. En a-t-il conscience ? Je forme le vœu que le premier Nicolas Sarkozy triomphe du deuxième.
Extrait de l’art. 1 de la Constitution : « La France est une République indivisible, laïque, démocratique et sociale. Elle assure l’égalité devant la loi de tous les citoyens sans distinction d’origine, de race ou de religion… »
Extrait de l’art. 6 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 : « Tous les Citoyens étant égaux à ses yeux sont également admissibles à toutes dignités, places et emplois publics, selon leur capacité, et sans autre distinction que celle de leurs vertus et de leurs talents. »
Et pour conclure, extrait de l’art. 5 de la Constitution : « Le Président de la République veille au respect de la Constitution… »
Ce n’est donc pas être exigeant que de demander au Président de la République de veiller au respect de la Constitution. Je suis pour ma part convaincue qu’une question posée par référendum sur le respect des principes républicains qui sculptent l’identité française recueillerait un « oui » massif en faveur de ce respect.
Traduit en actes concrets, cela signifierait par exemple :
Que cesse l’utilisation de l’ethnie et de la race comme avantages concurrentiels pour l’obtention d’un emploi ou d’une formation,
que cesse la remise en cause de la Laïcité, alors qu’elle seule permettra à la paix de perdurer dans notre société. C’est cette remise en cause qui a permis la montée en puissance de nouveaux acteurs au sein de notre société ; des acteurs qui tenteront à présent de devenir incontournables dans le débat public pour influencer la décision politique. C’est l’État qui, comble de l’incohérence, crée lui-même les conditions de la contestation de sa position hiérarchique. Un peu plus de cohérence ferait le plus grand bien à notre société.
J’espère que le débat sur l’identité nationale conduira à une prise de conscience sur la criticité de l’enjeu de l’intégration, et que cela permettra à notre classe politique de comprendre les raisons pour lesquelles il est urgent de réaffirmer l’ensemble des principes et valeurs de la République, ainsi que les règles, parfois tacites, du bien-vivre ensemble propres à notre société. Le destin de la République en dépend en effet. Je crois que les Français le réalisent chaque jour davantage.
Riposte Laïque : Vous constatez souvent, dans vos propos, la coupure entre le peuple et ses élites. Le traitement médiatique de la votation suisse ne confirme-t-il pas, à vos yeux, un fossé qui se creuse dangereusement ?
Malika Sorel :
C’est désormais davantage qu’une coupure, c’est un véritable divorce. De plus en plus de Français se détournent des médias traditionnels et utilisent les nouvelles technologies de l’information pour former leur jugement. Les Français ne savent plus en qui placer leur confiance. Ils se sentent profondément trahis par les politiques, les médias, les intellectuels, le monde de l’entreprise. C’est une situation qui peut à chaque instant mener vers une explosion. Nul ne sait quel pourrait en être l’élément déclencheur. Il y a une forte accumulation de poudre, ne manque plus que l’étincelle.
Les Suisses n’ont pas voté contre la pratique d’un culte. Ils ont souhaité mettre un coup d’arrêt à la multiplication de certains signes religieux, qui sont un peu trop repérables, dans l’espace public. Nos médias et notre classe politique, qui se sont acharnés sur les Suisses, n’ont même pas été capables de saisir la nuance !
Le résultat de la votation suisse n’est pas étonnant, car les peuples européens redoutent désormais que leur destin ne leur échappe. C’est pour cette raison que nous assistons au réveil de leur conscience collective, phénomène qui s’intensifiera d’autant que les citoyens penseront ne plus être politiquement défendus. Mais les élites qui vivent dans une bulle n’ont rien vu venir de ce vote. Elles semblent être devenues sourdes et aveugles à leurs propres peuples. Ce qui est encore bien plus grave à mes yeux, c’est que leurs cœurs s’endurcissent dès lors qu’il s’agit de leur peuple. Partout en Europe, la situation est la même. C’est ce manque cruel d’amour, et même de respect pour ce que peuvent ressentir leurs concitoyens, qui est probablement le plus inquiétant.
Riposte Laïque : Pensez-vous que ce que le président de la République appelle « l’islam de France », puisse contribuer efficacement à l’intégration que vous appelez de vos vœux ?
Malika Sorel :
Je ne sais pas ce que le Président met dans « Islam de France ». Le sait-il lui-même ? Il faudrait lui poser la question. Dans son discours à Latran, le Président de la République a placé le curé au dessus de l’instituteur. Il place donc probablement aussi l’imam au dessus de l’instituteur. Le Président de la République est en charge de la France à un moment particulièrement difficile de son histoire. Pour cela, il se doit de bien méditer les enseignements du passé afin de préparer, au peuple Français, des lendemains qui chantent et non qui déchantent.
L’histoire nous enseigne que la France est entrée dans la modernité politique au moment où elle a soustrait le politique de l’influence et de l’emprise du religieux. Pourquoi devrions-nous accepter que la France régresse ? Dans notre République, le Président est en charge de citoyens et non de croyants. Considérer les individus sur la base de leur croyance, c’est consacrer l’existence de communautés religieuses dans le champ politique. Il ne faudra donc pas s’étonner que l’État soit ensuite confronté au problème de la hiérarchie des appartenances.
L’individu placera-t-il les commandements de sa croyance religieuse au-dessus ou en dessous des lois de la République ? Favorisera-il l’idéal de société porté par sa communauté religieuse ou l’idéal porté par la République ? C’est là que de violents conflits trouveront leur source.
Une communauté qui tire sa force de sa taille n’aura strictement aucun intérêt à laisser ses membres présumés s’intégrer, donc lui échapper puisqu’ils feraient alors partie de la communauté nationale. Il existe de ce fait une contradiction fondamentale entre l’objectif d’intégration des enfants issus des dernières vagues d’immigration et leur réadossement à une communauté fondée sur l’appartenance à une religion.
Dans Le puzzle de l’intégration, je développe l’ensemble des actions politiques qui doivent être menées de front pour faciliter l’intégration et épargner à notre société les remises en cause des règles qui la structurent. Je mets également en évidence l’ensemble des acteurs qui doivent jouer un rôle majeur dans le processus d’intégration. Parmi eux, l’école, les parents et l’État, qui se doit d’assumer son rôle de défenseur de l’intérêt général.
Riposte Laïque : La mission parlementaire sur le voile intégral a permis, pendant plusieurs mois, d’auditionner des pans entiers de la société française. Pensez-vous qu’une loi soit absolument nécessaire ?
Malika Sorel :
Il y a aujourd’hui dans notre société une nécessité forte de réaffirmer nos règles du bien-vivre ensemble. Ce qui se joue, c’est la réappropriation des repères. Sans repère et sans règles clairement établies, la France sera confrontée à de très grands désordres. C’est ce vers quoi elle glisse, jour après jour. Dans ces conditions, Il devient urgent de porter secours à notre cohésion nationale et à la paix dans notre société.
La question de la burqa n’est pas du seul ressort du monde politique. Elle concerne chaque citoyen. Confrontés à ce qui était, il y a seulement dix ans, une question afghane, les citoyens sont désormais en phase d’ébullition intérieure, car cette situation provoque un véritable traumatisme psychologique. Comment leur imposer d’accepter de côtoyer dans l’espace public, donc dans leur vie quotidienne, des femmes arborant un signe aussi clair de l’asservissement d’une partie de l’humanité ? La France qui se proclame berceau de l’humanisme ne peut pousser l’incohérence jusqu’à accepter que des femmes se coupent ainsi des autres et du monde, au XXIème siècle. Dans la mesure où le comportement d’un individu provoque un choc pour les autres, fût-il d’ordre psychologique, le législateur doit en tenir compte.
Certaines femmes voilées disent à la société « c’est ma volonté personnelle ». Où la volonté individuelle doit-elle s’arrêter ? Quand la volonté du politique doit-elle s’exprimer et primer ? Qui définit les règles du bien-vivre ensemble dans notre société ?
Les Français sont en attente d’une réaffirmation de l’essentiel. Puisque nous sommes en France, cet essentiel ne peut être basé que sur les principes et valeurs que le peuple français s’est construit au cours de sa très longue histoire.
Les populations issues de l’immigration sont, elles aussi, en attente de cette réaffirmation des règles du bien-vivre ensemble propres à la société française. Comme tout entrant dans un nouveau groupe, ces populations ont en effet besoin d’une expression claire des règles de conduite et de fonctionnement qui définissent les limites à ne pas franchir dans le pays d’accueil. Pour un certain nombre de raisons que j’expose dans mon ouvrage et qu’il serait trop long de rappeler ici, il arrive de plus en plus souvent que des enfants issus de l’immigration, même à la troisième ou quatrième génération, se situent physiquement en France mais moralement et affectivement dans leur pays d’origine. Pour eux aussi, ce rappel de l’essentiel s’impose.
Une loi est indispensable pour indiquer à chacun la direction que l’État fait emprunter à la France, car cela n’est malheureusement pas toujours lisible. Réaffirmer la volonté politique de veiller à ce que les progrès obtenus par notre société ne soient jamais remis en question ne peut pas faire de mal, bien au contraire.
Riposte Laïque : Vous avez accusé la Halde de monter les Français les uns contre les autres. Récusez-vous l’ensemble de l’action de l’association présidée par Louis Schweitzer ?
Malika Sorel :
Je trouve complètement incohérent de vouloir travailler à l’intégration et au développement de sentiments fraternels entre les individus, quand dans le même temps on œuvre à dresser sans cesse des catégories de Français les unes contre les autres. C’est absurde, contre-productif et irresponsable. Cela ne peut en effet qu’engendrer frustration, haine et ressentiment des uns envers les autres.
Il y a un vice à la base de la création de la Halde, et c’est là que l’on voit que les hommes politiques connaissent très mal les règles élémentaires de la gestion des hommes. On ne laisse en effet jamais à un individu, ou à un organisme, le soin de créer lui-même sa propre charge de travail. Pour continuer de vivre, la Halde n’a d’autre choix que de voir des discriminations partout, quitte à les inventer. L’attaque de la Halde contre le poème de Pierre de Ronsard « Mignonne allons voir si la rose », qui serait un texte « anti-vieux » car il véhiculerait une image négative de la vieillesse, illustre à la perfection la folle dérive de l’idéologie de la lutte contre les discriminations.
Je reproche à ceux qui ont créé la Halde d’avoir mis en place une institution dont la nature même ne peut qu’injecter encore plus de haine dans notre société. C’est donc une action politique irresponsable, car notre société n’avait vraiment pas besoin de ce supplément de haine. Elle va avoir beaucoup de travail, et cela lui prendra beaucoup de temps, pour extraire le poison de la haine que l’idéologie de la repentance a injecté dans le cœur des enfants issus de l’immigration extra-européenne.
Sur tous les autres sujets dans lesquels la Halde intervient, elle ne conduit guère d’analyse globale des problèmes. Elle ne fait que traquer et débusquer ceux qui discrimineraient afin de les sanctionner. Sur la question de l’égalité hommes-femmes, par exemple, il n’y a aucune réflexion approfondie quant aux raisons, inhérentes à notre société, qui finissent par faire du monde du travail une jungle pour les femmes. Là aussi, on ne travaille que sur les symptômes, jamais sur les sources profondes du mal afin de les tarir, jamais sur la maladie afin de la guérir.
De ce fait, les symptômes sont destinés à toujours réapparaître.
Les discriminations, lorsqu’elles sont avérées, doivent être traitées par les juridictions déjà existantes, et jamais par une structure dédiée ! Les problèmes qui conduisent à ces discriminations doivent quant à eux être traités par la classe politique avec tout le sérieux qu’ils méritent. Je l’ai déjà dit : selon moi, la Halde devrait être supprimée. Je suis partisane de la réflexion profonde, de l’esprit de cohérence, de la pensée critique et de la liberté de pensée et de jugement.
Propos recueillis par Pierre Cassen

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