Halde-là ! 15. "Plan sexe" islamophobe : délibération n° 2008-333 du 1er avril 2008

Le Collège,
Vu la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et du citoyen, et notamment son article 9 ;
Vu la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et notamment son article 10 ;
Vu les articles 225-1 et 225-2 du Code Pénal sur les discriminations sur la fourniture de biens et de service ;
Vu l’article 433-5 du Code Pénal sur les insultes et outrages à dépositaire de l’autorité publique ;
Vu la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 portant création de la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ;
Vu le décret n° 2005-215 du 4 mars 2005 relatif à la haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité ;
Sur proposition du Président,
Décide :
La Haute Autorité a été saisie d’une signalisation déposée le 23 mars 2008 par le Mouvement Laïque et Antilibéral contre l’Islamophobie, la Xénophobie et le Sionisme, concernant Monsieur X. qui s’estime victime d’une discrimination de la part de Mademoiselle Y fondée sur son appartenance à la religion musulmane.
Monsieur X déclare qu’il a visité le 1er avril 2007 le site internet S… géré par la société Z et destiné à des rencontres entre particuliers. Monsieur X aurait été intéressé par l’annonce n° 7435 de Mademoiselle Y, d’origine béninoise, publiée sous le pseudonyme « African Beauty », et ainsi rédigée :
« Coucou tout le monde! Je mesure 1 m 60 cheveux noirs 95B peau mate jolies fesses. J’aime la natation et le cinéma et les chats. Je cherche beau mec 18-30 ans sur Bordeaux pour plan sexe. Douce et soumise j’accéderai à tous vos désirs. Laissez votre tel ou votre MSN je vous contacterai. Bisous. »

L’annonce de Mademoiselle Y était accompagnée d’une photographie de celle-ci, où elle se tient assise sur un lit à deux places dans une chambre au décor bourgeois. Mademoiselle Y est vêtue, sur cette photographie, d’un chemisier blanc et d’une jupe courte noire, le tout recouvert par un petit tablier de dentelles rose.
Monsieur X déclare qu’il aurait décidé de répondre à l’annonce de Mademoiselle Y par la messagerie du site internet S… Il se serait enregistré sous le nom d’emprunt « Beaugosse girondin » et aurait envoyé à Mademoiselle Y le message suivant :
« Salam Aleycum Beauté ! Je m’appelle H… et je suis intéressé par ton annonce. Je savais que les africaines sont chaudes du cul et je te trouve mignonne sur la photo. Contacte moi sur MSN mon pseudo est aboujihad911@… J’espère que tu me répondras hamdoullah ! »
N’ayant pas reçu de réponse au bout d’un mois, Monsieur X aurait décidé de relancer Mademoiselle T par un second message :
« Pourquoi tu m’as pas répondu ? Parce que je suis un converti musulman c’est ça ? J’en ai rien à foutre des blédardes islamophobes comme toi. Pourtant je suis pas une caillera j’ai bossé à la mosquée de Bordeaux… Lhamdou lillah, Qu’Allah te maudisse sale kafira aux ordres des colonialistes ! »
Monsieur X attend encore un mois, et n’aurait toujours pas obtenu de réponse de Mademoiselle Y. Il décide alors de saisir le Mouvement Laïque et Antilibéral contre l’Islamophobie, la Xénophobie et le Sionisme. Le Mouvement contacte la Haute Autorité, dont le conseiller juridique décide de faire procéder à un test de discrimination par l’Observatoire de l’Inégalité et du Racisme de l’Université Catholique d’Angers.
L’Observatoire convient de procéder au test de discrimination sous contrôle de Maître Cohen Benchemoul, huissier de Justice à Paris, en envoyant à Mademoiselle Y par le site web S… une candidature fictive de réponse, dont les caractéristiques sont aussi semblables que possible de celles des réponses de Monsieur X. Le seul critère qui diffère est celui qui est clairement énoncé dans l’annonce de Monsieur X, à savoir l’appartenance religieuse. L’annonce de test est rédigée et envoyée sous le pseudonyme « Joli garçon bordelais » dans les termes suivants :
« Bonjour belle Africaine ! Je suis Jean-Hubert et ton annonce m’a bien plu par sa franchise. Je suis catholique, j’espère que cela ne te gêne pas. Comme aumônier militaire j’ai effectué plusieurs missions en Afrique et j’ai pu mieux éprouver in situ la chaleur des autochtones quant aux rapports humains. J’aimerais en discuter avec toi si tu le veux bien. Je suis inscrit sous MSN sous l’adresse charlesmartel@… »
Deux jours après l’envoi de cette réponse, l’Observatoire de l’Inégalité et du Racisme constate une réponse de Mademoiselle T ainsi rédigée :
« Salut Jean-Hubert. C’est bizarre comme nom. Je m’en fiche que tu sois catho, juif ou athée. Ma famille est adventiste mais je ne crois pas trop en Dieu et je suis plutôt bouddhiste et super zen. Je t’ajoute à mes contacts MSN parce que j’aime mieux discuter en direct. T’as une webcam ?. Mon pseudo sur MSN c’est blacklolita@… et mon tel c’est 06… »
Il apparaît donc clairement au Collège de la Haute Autorité que Mademoiselle Y a répondu très rapidement à la candidature fictive d’un postulant se présentant comme chrétien à son annonce pour un « plan sexe », alors qu’elle a manifestement ignoré celle d’une personne de confession musulmane qui a pourtant relancé sa réponse.
Afin de déterminer les raisons de cette différence de traitement, le conseiller juridique de la Halde a écrit plusieurs fois à Mademoiselle Y pour lui demander ses motifs, sans obtenir de réponse, ce qui constitue indubitablement un indice en faveur d’une discrimination lié à la confession religieuse de Monsieur X.
Le conseiller juridique de la Haute Autorité décide alors de joindre Mademoiselle Y par téléphone afin de lui exposer l’ensemble des éléments du dossier qui laissent à penser que cette personne a pu rejeter la candidature de rencontre de Monsieur X au seul motif de son appartenance à une religion donnée. Sous constat d’huissier et devant témoins, Mademoiselle Y a répondu au conseiller de la Haute Autorité :
« Et ta caméra cachée elle est où espèce de bouffon ? Allez casse-toi, pauvre con ! »
Au vu de toute absence de motif légitime quant à la différence de traitement entre deux réponses qui ne diffèrent que par l’appartenance religieuse réelle ou supposée, il est indubitablement établi que celle-ci est la raison de cette différence de traitement de la part de Mademoiselle Y. D’autres éléments du dossier amène le Collège de la Haute Autorité à cette conclusion évidente sur les intentions discriminatoires de Mademoiselle Y.
Dans sa réponse à la candidature fictive élaborée par l’Observatoire de l’Inégalité et du Racisme, Mademoiselle Y dit que la religion des personnes qui lui répondent n’a pas d’importance à ses yeux, en citant les confessions chrétiennes, juives et bouddhistes ainsi que l’athéisme. L’omission volontaire de l’islam, pourtant seconde religion en France, traduit sans aucun doute une volonté manifeste de la part de Mademoiselle Y de ne pas inclure sciemment cette confession dans sa prétention de tolérance.
La photographie qui accompagne l’annonce de Mademoiselle Y la fait apparaître comme une domestique au service des candidats à son désir de « plan sexe », ce qui apparente incontestablement cette annonce à une forme de soumission sexuelle accompagnée d’un stéréotype colonial voire esclavagiste étant donnée l’appartenance ethnique africaine de Mademoiselle Y. Cette image est renforcée par les termes de l’annonce où Mademoiselle Y exprime qu’elle est « douce et soumise » et qu’elle accédera à tous les désirs des personnes qui lui répondront. Mademoiselle Y suscite ainsi volontairement chez les lecteurs de son annonce la reproduction d’un cliché raciste qui laisse croire que les personnes d’Afrique Noire ne peuvent qu’être des objets d’assouvissement des désirs sexuels.
En outre, le Collège de la Haute Autorité constate que Mademoiselle Y définit dans son annonce des critères constitutifs de l’apparence des personnes qu’elle souhaite rencontrer tels que « beau » ou « 18-30 ans », qui constituent une sélection arbitraire sans relation directe avec l’objet de l’annonce, le « plan sexe », qui manifeste la seule recherche de relations physiques sans volonté de partager une vie commune. En effet, il n’est nullement contestable que les hommes à l’apparence disgracieuse ou non jeunes sont statistiquement aussi amènes aux performances sexuelles que ceux définis par l’annonce de Mademoiselle Y. Les critères « beau » et « 18-30 ans » ainsi énoncés n’ont par conséquent d’autres motivations que de procéder à une sélection discriminatoire.
Mademoiselle Y précise dans son annonce qu’elle recherche un « beau mec 18-30 ans sur Bordeaux », ce qui constitue une ségrégation géographique également sans aucun rapport avec l’objet de l’annonce. En outre, la phrase « Laissez votre tel ou votre MSN » traduit une volonté de limiter les réponses aux personnes qui disposent soit du téléphone soit d’un accès à Internet, ce qui constitue sans aucune ambiguïté une discrimination sur des critères financiers envers les personnes dont la condition modeste ne leur permet pas d’avoir accès à ces moyens de communication.
Le Collège de la Haute Autorité constate que Mademoiselle Y met en avant par son annonce ses propres caractéristiques constitutives de son apparence physique : « Je mesure 1 m 60 cheveux noirs 95B peau mate jolies fesses ». Ces caractéristiques n’ont pas de lien direct avec l’objet des rencontres souhaitées par Mademoiselle Y, et n’apportent à l’annonce qu’une volonté délibérée de mise en valeur de critères physiques dont pourraient être privées d’autres personnes qui publient des annonces de rencontres. Ainsi, Mademoiselle Y incite les lecteurs du site S… à opérer une discrimination inconsciente entre les annonces basée sur l’apparence physique. Le Collège de la Haute Autorité remarque également que Mademoiselle Y se présente en disant « J’aime la natation et le cinéma et les chats », et que ces éléments n’ont également aucun rapport direct avec le but de l’annonce qui est de rencontrer des personnes à des fins de relations sexuelles sans envisager de communauté de vie.
Ainsi, il n’est pas infondé de penser que la plupart des éléments de l’annonce de Mademoiselle Y ne traduisent qu’une volonté discriminatoire qui accrédite le refus de répondre à Monsieur X en raison de son appartenance religieuse.
Si toutefois la jurisprudence actuelle sur les articles 225-1 et 225-2 sur le refus de fourniture d’un bien et d’un service à raison d’une appartenance religieuse supposée ou réelle ou d’apparence physique ne permet pas d’intenter des poursuites contre Mademoiselle Y, il est indéniable que la société Z, par son caractère commercial de fournisseur de service, tombe sous le coup de ces articles de loi en laissant passer une telle annonce.
Le Collège de la Haute Autorité constate également que les qualificatifs de « bouffon » et de « pauvre con » employés par Mademoiselle Y à l’encontre du conseiller juridique de la Haute Autorité constituent des insultes et des outrages à une personne dépositaire de l’autorité publique au sens de l’article 433-5 du Code Pénal, étant donné que ladite autorité est conférée aux membres de la Haute Autorité par la loi n° 2004-1486 et le décret n° 2005-215.
Au vu de l’ensemble des éléments du dossier portés à sa connaissance, le Collège de la Haute Autorité invite son Président à prendre les dispositions suivantes :
– Demander à la société Z d’enlever de l’annonce de Mademoiselle Y tous les éléments constitutifs directement ou indirectement de discriminations ou d’incitation à discriminations, en retirant la photographie jointe à l’annonce et en réduisant celle-ci aux seuls éléments en rapport avec le motif exprimé. L’annonce de Mademoiselle Y doit donc être ainsi libellée : « Coucou tout le monde! Je cherche mec pour plan sexe. Je vous contacterai. Bisous. » Le Collège de la Haute Autorité demande à la société Z de lui rendre compte de cette action dans un délai de trois mois.
– Demander à la société Z l’affichage en page d’accueil du site Internet S… de l’intégralité des articles des articles de loi 225-1 et 225-2 afin de sensibiliser les annonceurs aux problèmes de discrimination, ainsi qu’un appel à saisir la Haute Autorité avec un lien hypertexte vers son site internet, et de lui rendre compte de cette mise en ligne dans un délai de trois mois.
– Transmettre au Tribunal de Grande Instance de Bordeaux l’ensemble du dossier afin d’intenter une poursuite judiciaire contre la société Z en vertu des articles 225-1 et 225-2 du Code Pénal.
– Déposer une plainte auprès du Tribunal de Grande Instance de Bordeaux à l’encontre de Mademoiselle Y pour insultes et des outrages à une personne dépositaire de l’autorité publique sur la personne du conseiller juridique de la Haute Autorité.
– Proposer à Mademoiselle Y une transaction financière en vertu de la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 afin de dédommager Monsieur X du préjudice et des frais qu’il a subis par l’absence de réponse manifestement discriminatoire et outrageante, et de rendre compte du résultat de cette transaction dans un délai de trois mois.
– Demander au Ministre de l’Intérieur d’associer la Haute Autorité aux futurs projets de loi sur la délinquance sur Internet, afin de disposer de moyens efficaces de lutte contre les incitations récursives au racisme et à la haine raciale qui circulent en toute impunité dans ce nouveau moyen de communication. Le Collège de la Haute Autorité souhaite en particulier disposer des moyens d’investigations nécessaires à sa mission, comme l’accès aux fichiers des fournisseurs d’accès ou des hébergeurs de site, ainsi que la surveillance des activités des internautes au moyen de logiciels adéquats.
– Inviter le gouvernement à déposer un projet de loi visant à légiférer les sites de rencontres sur Internet afin d’assurer l’égalité de traitement des annonces de rencontre et des réponses aux annonces, et de fixer de façon restrictive les critères constitutifs de ces annonces pour bannir toute mention qui peut constituer ou induire une discrimination directe ou indirecte.
Roger Heurtebise

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